Christophe Massé

 

Bordeaux le 15 mars 2002

 

Cher Billé

Je viens de faire partir une lettre pour toi par la poste et je me disais en reprenant le chemin de la maison, qu’à part dire merci benoîtement, je ne t’avais pas donné mon sentiment à propos du journal documentaire. Alors que je me suis en grande partie régalé. Principalement avec le périple italien, qui comme tu t’en doutes, me touche particulièrement étant donné que je possède un peu de sang toscan dans les artères. J’ai pu ressentir des odeurs connues et me remémorer les images qui vont avec ; la fragrance du savon à barbe, celui qui blaire particulièrement, le paysage de galets sur le bord de mer qui brillent dans le ressac, le col de Tende, les rivages de l’Adriatique qui pullulent de plages privées pour gens privés et dont l’accès est défendu aux blaireaux. Nicole avait d’ailleurs dans un accès de rage traversait à demi nue un parterre d’abrutis médusés, pour aller se jeter à l’eau et revenir trempée en s’ébrouant comme le ferait un jeune chien, au grand dam d’un groupe
de jeunes vieillards avachis sur leurs transats baignant dans les rais du soleil. J’ai adoré tes casses-graines avec Dany, décrits avec promptitude. Tu as le mot juste tout le temps et un remarquable style pour illustrer ce que tu vis, ainsi que pour donner le climat général en quelques phrases. La nourriture que tu ingurgites est toujours détaillée et donne le plus souvent envie de goûter. J’ai remarqué aussi que tu étais souvent invité chez des gens charmants qui cuisinent des plats spécialement pour toi.
Je me suis même demandé si tu le méritais ? Sûrement.


Ton humour est toujours là pour compenser cette tendance à la réaction, surtout concernant les jeunes, les Arabes, les gauchistes et bien évidemment ceux qui sont les deux ou les trois à la fois. Voilà pourquoi j’ai ri de bon cœur en imaginant la tête que tu devais faire quand cette bande de jeunes arabes, te pissant sur les bottes tout en te toisant de leurs airs haineux a déclenché un arrêt brutal de ton appétit, que je connais, de réputation, qui me semblait être à l’épreuve d’une quelconque contrariété fusse t-elle engendrée par des drôles de banlieues. J’ai savouré aussi à plusieurs reprises la découverte des trois chevreuils, les plumes arrachées à la petite queue de l’oiseau mort, le crapaud sous la cendre, le cri que tu pousses en hommage à ton baron préféré ; tes nombreux mots d’esprit ainsi que la kyrielle de phrases désuètes et de tournures emmanchées que tu emploies avec talent et qui incitent à te convaincre d’en publier un jour plus et encore. Et pourquoi pas l’intégralité. Enfin pour information et complément ; j’ai trouvé curieux que tu écrives d’abord le nom de l’homme puis celui de sa compagne ou épouse, je pensais que la politesse voulait que l’on mentionne la dame en premier. J’ai relevé page 31 : ambiance humanisse quelques lignes plus loin : catalogué comme racisse et page 34 : humanisses ; peut être est ce des mots que j’ignore ? En ce qui me concerne ce n’est pas bien important, car si ce sont des coquilles, je les pense al dante.


Pour clore, je suis sceptique sur le fond de ta pensée, celui relatif à la vision, qu’on apparemment beaucoup de gens au sujet des américains et que tu définis comme injuste. Chaque peuple en démocratie doit s’attendre à être frappé à la tête et prendre de plein fouet les retombées de la politique de ses gouvernants. Je te trouve partial, comme si tes craintes te poussaient irrémédiablement à opter pour le camp du plus fort. Je trouve néanmoins fameux que cela te donne envie de hausser le ton. Nous avons tous dans nos tiroirs des motifs pour claquer du bec, il est bon de l’ouvrir même violemment de temps à autre. Pour ma part, je le fais à coup de pieds et de poings, une ou deux fois l’an ; ça me prend comme de l’eczéma et c’est toujours lorsque je suis menacé. Il est arrivé aussi que j’en fasse les frais. Je voulais aussi de dire que je te trouve beau, surtout avec un œuf d’autruche dans les mains.
Amitiés.

Christophe Massé.