Tu
es un jeunot pour mézigue : je suis né
deux ans avant toi.
Je me rappelle qu’à l’époque
où toi et moi émergions, c'est-à-dire
au début des années soixante, parut un
livre de Jean Nohain, tu sais, l’ex-avocat devenu
amuseur public. C’était publié sauf
erreur chez Julliard et ça s’intitulait
« J’ai Cinquante Ans ».
Mon père se l’était acheté
début des années cinquante du siècle
passé. Voilà le genre de bouquin que tu
pourrais te payer à vil prix via price minister,
par exemple, le libraire
qui met en contact les particuliers sur le net (publicité
gratuite).
Je
t’ai connu voici de cela une vingtaine d’années :
tu animais
et tu animes peut-être encore une « Lettre
Documentaire ».
Moi je m’employais alors à pratiquer le
Mail Art (j’avais cent six correspondants à
l’époque) et à le faire savoir par
le truchement d’un « courrier mensuel collectif
international » qui s’intitulait « L’Arbre
Bleu » et auquel tu fus jadis abonné.
De
nos jours les documentalistes professionnels deviennent
aussi obsolètes que les typographes : internet
est passé par là, qui a remisé
ciseaux et colles au domaine des oubliettes : existe-t-il
encore des documentalistes maintenant que chaque internaute
est devenu le sien
et pianotant sur l’encyclopédie de la Toile,
imprimante à l’appui ?
Je n’en suis pas certain.
Mais
tu n’as pas œuvré en vain : me
promenant récemment dans le parisien quartier
des Abbesses à Montmartre, près de mon
domicile, j’ai visité une librairie underground
(c’est devenu très chic et tendance, les
librairies underground : ce dernier est maintenant
une affaire rentable) et je suis tombé avec plaisir
sur un exemplaire d’une de tes « Lettres
Documentaires », celle dans laquelle tu publias
les résultats d’une enquête que tu
avais mené sur le thème suivant, si je
ne m’abuse et sauf erreur : « Quels
sont les dix meilleurs livres de votre bibliotbèque
que vous souhaitez conseiller aux lecteurs ? ».
Il
me souvient que tu disposais d’une Boite Postale
quelque part à Bordeaux (est-ce que je me goure ?
C’était il y a longtemps !) et- chaque
fois que je recevais un courrier de toi, j’imaginais
les Entrepôts Lainé situés près
du fleuve, avec le port contigu et puis un très
beau jardin public qui s’étageait à
l’ombre de l’Hôtel de Ville. Celui
dans lequel travaillèrent en tant que maires
Jacques Chaban-Delmas et Alain Juppé.
A
l’époque l’usage massif de l’ordinateur
était encore inconnu
et tu tapais tes textes par l’entremise d’une
machine à écrire mécanique. Cela
avait de la gueule !
Est-ce
que tu continues de documenter tes lecteurs ? Je
ne le sais pas
car la vie nous a fait dériver chacun dans des
chacuniers qui nous sont spécifiques et ne se
sont point recoupés.
Tu
as cinquante ans : ce n’est pas l’heure
des bilans, c’est l’âge où
l’on savoure la vie car on est devenu historique.
Jeunes filles et jeunes gens nous regardent comme des
anciens : ceux de la génération de
leurs parents. Et à propos de parents je me rappelle
que tu avais un fils : quand je t’ai connu
il était fort d’une dizaine d’années
et de passage à Paris tu lui avais acheté
un animal en plastique. Maintenant il doit être
un homme jeune.
Nous,
les cinquantenaires, nous ne sommes pas vieux :
juste patinés par le temps. Si nous avons pris
soin de ne pas nous noyer dans la nostalgie des années
septante, nous voilà frais pour continuer notre
route l’œil aux aguets et le pied léger.